2 réflexions sur « Jean-Rémi Girard sur CNews 07/01/2020 »

  1. Revenir aux conditions de travail des années cinquante ? Il ne viendrait à aucune profession l’idée de le demander. Pourtant, paradoxalement, les enseignants gagneraient beaucoup à revenir à 70 ans en arrière .

    Enseignants : temps de travail, locomotive à vapeur et escarbilles.

    Alors que se profile, issu du cerveau de Jean-Michel Blanquer, un nouvel allongement du temps de travail des enseignants, une mise en perspective historique s’impose.

    Début des années 1950
    Ces années là ne sont guère propices aux cadeaux en durée du travail. La moyenne réelle hebdomadaire est de 46 heures.
    Malgré ce contexte, l’Etat estime raisonnable, et cohérent avec la charge de travail d’un professeur, de fixer à 18h de cours par semaine le service des professeurs du secondaire.
    Dans une France encore très rurale, la poursuite d’études est peu fréquente. Le parcours scolaire suivi est plutôt le certif’ suivi de l’apprentissage. Une minorité de jeunes gens poursuit des études secondaires. C’est peu de dire qu’ils représentent une sélection.
    Des instituteurs aux professeurs, la profession est respectée et jouit d’un certain prestige. Pas de parents ou d’élèves consommateurs, pas d’enfants rois, pas de quartiers sensibles, pas de climat de violence, pas d’élèves ingérables. S’il y a des écrans, ce sont ceux du cinéma du samedi soir.
    Les enseignants peuvent travailler dans la sérénité.
    Dans le même temps, le chemin de fer est le premier mode de transport. La locomotive à vapeur circule encore partout, comme depuis la fin du 19è siècle. Les cheminots bénéficient d’un statut particulier du fait de leurs conditions de travail.

    Début des années 2000
    Profitant du progrès social, la durée du travail n’a cessé de diminuer depuis les années 1950, pour en arriver à la loi sur les 35h hebdomadaires. Enfin… pas pour les enseignants qui ont été soigneusement tenus à l’écart des 35h !
    Les professeurs qui arrivent aujourd’hui à la quarantaine, et a fortiori les plus jeunes, savent-ils que la profession n’a bénéficié d’aucune réduction du temps de travail lors du passage de tous les salariés aux 35 h en France ?
    En parallèle, dans les transports la locomotive au charbon a disparu. Et aux cheminots on est alors venu dire « Dites donc les gars, vous ne recevez plus d’escarbilles dans les yeux, ni ne rentrez chez vous les cheveux pleins de suie et la marque des lunettes sur le visage, il faudrait p’t’être revoir votre régime spécial, hein ! »
    Du côté des enseignants, c’est l’inverse qui s’est produit. A l’exercice « normal » de leur profession au cours des années 1950/60 ont succédé des conditions de travail en constante dégradation. Les escarbilles et la suie, version Education nationale, ils s’en sont pris plein la tronche.
    Massification des études donc grande hétérogénéité des élèves, réformes successives imposées jamais évaluées, société de consommation, violence, enfant- roi et argent-roi, quartiers sensibles, déclassement sociétal par une baisse continue des rémunérations, hargne de l’institution, etc, etc.
    Et surtout mépris à l’encontre de leur profession. Le pompier, l’infirmière sauvent des vies. L’enseignant est vécu comme l’empêcheur de tourner en rond, celui qui met une appréciation peu flatteuse au petit dernier.
    Le pompon dans les conditions de travail, ce sont les années 2010 avec la généralisation du numérique et la réunionite aiguë. On a surchargé les professeurs de tâches nouvelles et chronophages.
    Ils doivent aujourd’hui assister à de multiples réunions après leurs cours et quand ils rentrent enfin chez eux pour leurs préparations et corrections, ils ne peuvent le faire sereinement, rattrapés qu’ils sont dans leur sphère privée, traqués sept jours sur sept sur leur ordi ou leur smartphone par la hiérarchie ou les parents.
    La profession vit une grande souffrance au travail. Veut-elle l’exprimer, on ne l’écoute pas.
    Veut-elle proposer, on la fait taire. Certains ont craqué et choisi le suicide, parfois dans leur établissement scolaire, ils n’ont suscité que le déni de l’institution.
    Résultat : l’enseignant d’aujourd’hui est lessivé, rincé, essoré.
    On aurait pu penser que les mêmes qui ont vilipendé les avantages des cheminots au motif de leurs meilleures conditions de travail, viendraient dire aux enseignants « votre tâche est devenue trop lourde, nous allons revoir votre charge de travail ».
    Ben… ils l’ont revu le temps de travail. Mais pas dans le sens que l’on pensait : en alourdissant encore plus leurs obligations horaires ! En rajoutant des heures supplémentaires obligatoires. Avec en sus la suppression d’une semaine de vacances.
    Et comme si ça ne suffisait toujours pas (quand on vous parle de hargne, hein !), dans les tuyaux coule aujourd’hui un projet de nouvel alourdissement du temps de travail.

    Alors que dans toutes les professions depuis 70 ans le temps de travail s’est allégé, celui des enseignants s’est considérablement accru et ce dans des conditions de travail exténuantes. Depuis 1950 ils sont partis à rebours du monde du travail, la locomotive de leur temps de travail a enclenché la marche arrière à toute vapeur.
    Et dans le même temps, la loco de leurs salaires, déjà bien poussive, s’est mise à reculer à la moindre grimpette due à l’inflation.
    Le ministre Blanquer parle de l’avènement de « l’enseignant du 21è siècle ». Qu’il l’amène déjà au niveau de l’enseignant des années 1950. Rien que ça constituerait un immense progrès.

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